Regarder. Trier. Supprimer. Changer. Encore. Encore. Encore. De temps en temps, apprécier le spectacle. Rire. Pleurer. Fermer les yeux. Se mettre en colère. Et recommencer.
Ainsi était le job de Tina. Être un robot, pour un Légendaire... C'était un peu un comble. Mais au moins, elle était dans sa bulle, dans son monde, loin des autres. Elle ne sentait à l'aise que dans sa prison. Un peu paradoxale, me dirait vous. Quand elle sortait, elle aimait bien observer le monde... Mais pas les gens. Parce qu'elle savait tout d'eux. C'était comme si elle partageait leur vie, mais pas eux. Elle se sentait proche d'eux et si loin... Non, vraiment, sa pièce c'était le paradis. Anciennement enfer. La brunette décida de faire une pause. Ses yeux se fatiguaient, elle avait besoin de dormir quelques minutes. Elle réveilla Sumerki, son Noctunoir, et lui demanda gentiment d'aller surveiller la porte. Les gens lui rendaient visite, parfois, sans jamais prévenir à l'avance. D'autres tombaient sur sa porte par hasard. Donc la femme se trouvait souvent dans des situations embarrassantes. Heureusement que son Pokemon était là pour leur faire peur. Ou leur coller des baffes, ça dépendait.
Elle commençait à s'endormir lorsqu'on toqua à la porte. Tina n'entendit rien. Puis un filet de lumière se déroba sous la porte, la réveillant en sursaut. La lumière l'aveuglait, lui faisait peur. Enfin, surtout la lumière naturelle. Elle grogna un ordre à Sumerki, qui claqua la porte à l'étranger. On ne pouvait pas être tranquille deux secondes ? Mais l'autre insista. La réincarnation de Giratina se leva et observa la caméra qui surveillait le couloir de sa chambre.
- Pas elle...
Elle fit signe à son Noctunoir d'ouvrir tout doucement la porte et se protégea les yeux. Ce n'était pas pour tout de suite qu'elle allait dormir...
Le travail, le meilleur moyen pour s'échapper à la pensée, au doute. Le problème, c'est que le travail te rapprochait toujours un peu plus du cœur du problème. Et le problème ... Le problème c'était lui, Zekrom, Altaïr peu importe. Tu le voyais tous les jours et tu aurais très bien pu cesser d'aller aux audiences, histoire d'avoir la paix, de passer à autre chose mais au contraire, tu y allais de plus en plus. A croire que tu aimais te faire mal. Enfin, il y avait une audience qui allait arriver. Tu avais des doutes sur le prévenu, des doutes sur ta propre capacité à le faire condamner en vérité, Altaïr savait atrocement bien creuser tes failles comme s'il te connaissait par coeur sans pour autant savoir la moindre chose sur toi. Tu devais aller là-bas pour trouver des preuves, pour trouver de quoi t'appuyer. Là-bas, oui, c'était l'endroit qu'ils ne nommaient pas. Le poste de surveillance, l'antre de Giratina, cette nana qui t'inquiétait un peu en vérité. Parmi tous les autres, pourtant, tu n'avais aucune colère envers Tina. Tu avais assisté au procès, alors que tu étais encore en apprentissage avec l'ancien Zekrom, tu étais encore jeune lorsque tu avais posé les yeux la première fois sur cette femme.
« Tina ? » Tu demandas, avant de pousser la porte de la pièce dont on semblait te refuser l'accès, d'un geste sec. Tu voulais des infos sur le prévenu de cette affaire prochaine ... Non, tu voulais des infos sur Altaïr. Tu voulais avant tout savoir ce qui clochait chez lui, ce qui te le rendait si antipathique, ce qui te fascinait tant. Tu devais savoir à tout prix. « Je peux te demander un service ? » La réponse à la question était plutôt courue d'avance. Baal jeta un regard au Nocturnoir, l'Arcanin passait souvent pour un grand benêt mais il avait un bon instinct, et il était prêt à tout pour te protéger. « J'ai une question à te poser sur ... Un gars. » Wow, Alec, voilà que tu lui parlais comme si c'était une bonne copine, une confidente, mais c'était une paria, il fallait tâcher de ne pas l'oublier.
Reshiram. C'était elle. Celle qui était... Quoi déjà ? Ah oui. Elle incarnait la Réalité. Elle était juge, il lui semblait, au Tribunal Draconique. Comment expliquer que Tina ne l'appréciait pas du tout, du tout. Alecto était si... Pure, sûrement, contrairement à elle. Encore une des chouchous d'Arceus. En fait, ils étaient tous ces chouchous. Sauf elle, la paria. Elle soupira et regarda l'état de sa pièce. Le chaos régnait, comme toujours. Le désordre était le seul mot qui pouvait décrire son monde obscure. Mais c'était comme ça qu'elle se sentait bien. Tina était encore en pyjama, bon, elle ne portait presque que des pyjamas et des sweat, le confort, c'était mieux pour travailler.
Pourquoi Reshiram se pointait là ? Pour le travail, bien sûr. Toujours le travail. Toujours les vidéos. On ne venait jamais voir Giratina pour lui demandait comment ça allait, si elle voulait pas sortir un peu, si elle avait besoin de quelque chose. Non. C'était les vidéos qui les intéressaient tous. Ce qu'elle voyait. Ce qu'elle apprenait. On voulait ses connaissances. Son bien le plus précieux. Et là, ça semblait pour une histoire de garçons.
- Tu te débrouilles toute seule pour tes histoires d'amour. Je m'occupe pas de ce genre de trucs.
Tina se rapprocha de la porte et s'apprêta à la claquer de nouveau, au nez de l'Arcanin et d'Alecto. La lumière se faisait un peu trop présente, là, il fallait qu'elle mette un terme à sa souffrance. Mais la Légendaire se demandait un truc. Reshiram n'était pas du genre à tomber amoureuse de tous les mecs qui passaient. Enfin, de ce qu'elle avait observé. C'était plutôt une histoire importante. Genre, concernant d'autres Légendaires, à tous les coups. Et qui dit Reshiram dit...
- Me dit pas que c'est une histoire avec le nouveau Zekrom... Qu'est-ce que tu veux ?
Elle ne la laissa toujours pas rentrer. On ne pénètre pas dans son antre comme ça, non mais oh.
« Tu te débrouilles toute seule pour tes histoires d'amour. Je m'occupe pas de ce genre de trucs. » Tu esquisses une grimace avant d'avoir un léger mouvement de recul. Qui parle d'histoire d'amour ? Elle se fourvoie, c'est certain, mais comment vas-tu pouvoir rattraper le coup ? Et puis elle approche, s'apprête à te claquer la porte au nez, au final tu n'es pas certaine de vouloir en savoir plus, si elle n'y met pas du sien, si elle vend la mèche, tu es mal. Il faudrait que tu trouves un moyen de la mettre dans ta poche, après tout tu te fiches bien de savoir ce que les autres diront de ça, si on te surprend avec Tina, ça t'es complètement égal. Et pourtant, tu ne réponds pas, tu restes plantée là comme un ficus. « Me dit pas que c'est une histoire avec le nouveau Zekrom... Qu'est-ce que tu veux ? » Cette fois, tu entrouvres les lèvres avant de te raviser. C'est compliqué de lui dire ça, et comment pourrait-elle bien comprendre ? Non, tu ne sais pas comment faire. Pourtant il va bien falloir ouvrir la bouche et parler. Montrer tout ton charisme, qui semble vouloir s'envoler comme des cendres sous le vent. « Tu fais erreur. Il s'agit bien de lui, oui, mais il me met mal à l'aise. Il est louche. » Tu avais l'habitude qu'un légendaire soit remplacé par un autre lorsqu'il disparaissait, mais ça avait été si rapide, c'était troublant. Et il y avait quelque chose dans son attitude qui clochait, sa façon d'être était proche de l'ancien Zekrom, ça allait de soit, mais... Tu avais comme l'inquiétude d'être sa prochaine victime, d'être dans son chemin, qu'il essayait juste de te baratiner. « Est-ce qu'il est souvient entouré par des gens suspects ? Est-ce que tu le perds des écrans, parfois ? » Les doutes étaient là, il faudrait juste que tu saches s'ils étaient fondés ou non. Ensuite tu lui ficherais la paix, en oubliant certainement les questions que tu voulais poser dans un premier temps, mais peu t'importait.
Tina avait l'habitude de voir passer une ou deux personnes près de son antre, te temps en temps. Ils la craignaient un peu, ils n'osaient jamais rester plus de deux minutes à sa porte. Ils lui transmettaient un message, des informations... Souvent pour effacer des vidéos, qui auraient pu les mettre dans une situation embarrassante. Sortie avec son amant, acte de corruption... Si si, la Secte était soit disante parfaite, d'après les images qu'on diffusait un peu partout, mais le mal était bien là, bien caché. De temps en temps, certaines personnes venaient pour des informations, comme Reshiram, là, à cet instant. Et souvent, c'était ... Personnel. C'est pour cela qu'elle a tout de suite penser à une situation amoureuse. L'autre Légendaire avait bien l'air mal à l'aise. Parfait. Et elle voulait... Des informations sur le nouveau Zekrom. Comme si Tina savait tout sur lui. Mais oui, bien sûr ! Elle était un génie enfermé dans une pièce sombre, elle devait tout savoir, tout voir, tout entendre. Et puis quoi encore.
- Alors, petit un. Tu crois vraiment que je vous observe tous ? Que je peux observer la population entière de cette foutue île et que je retiens chacune de vos actions ?
... À vrai dire, elle le faisait. Les caméras triaient déjà bon nombre d'images. Et puis Tina triait encore. Elle entendait des noms parfois, et créait une petite fiche pour chaque personne de l'île. Le problème, c'est qu'elle oubliait. Son cerveau n'était plus si efficace. Et par moment, et bien, ça buguait.
- Petit deux. J'y gagne quoi, moi, dans l'histoire ? Je pourrai tout te dire par rapport à ses petits secrets, te donner toutes les vidéos où il apparaît... Mais, je sais pas. J'ai pas envie.
Qui s'y frotte s'y pique. Après tout, elle était Giratina. Elle était libérée de sa prison, mais on ne l'aimait toujours pas, alors qu'elle adhérait aux idées de la Secte. L'autre monde était injuste.
« Alors, petit un. Tu crois vraiment que je vous observe tous ? Que je peux observer la population entière de cette foutue île et que je retiens chacune de vos actions ? » Tu tiques, étrangement, un peu surprise, la vérité c'est que oui, tu le pensais vraiment. Tu pensais que dès que tu passais devant une caméra, elle t'observait, mais ça ne t'avait jamais vraiment dérangée. Tu étais habituée, avant elle il y avait quelqu'un d'autre, les caméras étaient les yeux d'Arceus, ses espions étaient ses oreilles. D'ailleurs, tu n'aurais pas été très surprise d'apprendre que des micros se trouvaient ça et là. Peut-être même que tu étais surveillée, de près ? Ça aurait dû te rendre paranoïaque, sans doute, mais ce n'était pas le cas. Tu n'avais rien à te reprocher, c'était la première fois que tu faisais un écart, la première fois que tu demandais des renseignements personnels. Toi, ta vie bien carrée, tes dossiers, tes accusations, le travail, le barreau, puis tu rentrais. Ton appartement, les murs blancs et gris, quelques documentaires sur les pokémons, une soirée en tête à tête avec Baal ton Arcanin, et fin de l'histoire, tu étais couchée. Ta vie, beaucoup l'auraient trouvés inintéressante, mais toi, ça t'allait. Tu n'avais pas à te plaindre, tu ne vivais pas dans la misère, tu trimais sur tes dossiers, tu ne t'ennuyais pas. « Petit deux. J'y gagne quoi, moi, dans l'histoire ? Je pourrai tout te dire par rapport à ses petits secrets, te donner toutes les vidéos où il apparaît... Mais, je sais pas. J'ai pas envie. » Ah, oui. Tu aurais dû t'en douter, rien n'était gratuit, ici. Lorsque c'était professionnel, c'était différent, désobéir ne faisait pas partie des possibilités, ni pour elle, ni pour toi. Mais maintenant, maintenant que ce n'était plus professionnel, alors elle pouvait aller sur tous les terrains. Une grande vague de malaise te submergea alors que tu resserrais tes doigts sur le cadre de la porte. « Je ne veux pas de détails, juste savoir si mes soupçons sont fondés. » Tu marques une mine un peu boudeuse avant de reprendre, plus bas, plantant tes yeux dans les siens. « Qu'est-ce que tu veux, Tina ? Je m'arrangerai. » C'était à moitié vrai, tu ne pourrais sans doute pas faire grand chose, mais tu essayerais, tant que ça restait dans les limites de la légalité.
Tina posa sa tête contre son Noctunoir. Il lui servait souvent d'oreiller, comme ça. Surtout quand elle tombait de sommeil. Comme maintenant, il lui servait de peluche, ou de maman. Il était vraiment gentil avec elle. Elle grogna un peu puis se rapprocha de la porte, et commença à l'ouvrir un peu, cachée derrière elle. Au fond, qu'est-ce qu'elle voulait vraiment ? Qu'est-ce qu'elle voulait demander à cette femme ? Elle ne savait pas. La liberté ? Elle l'avait déjà plus ou moins. Mais si... Si elle pouvait mettre la main sur... Sur eux. Les interdits. Les bannis. Comme elle. La Giratina savait très bien ce qu'elle voulait. La connaissance. Toujours plus de connaissance. Comme si le chaos qui régnait dans son cerveau ne lui suffisait pas.
- Rentre. Même si c'est moi qui surveille, on est pas à l'abri d'oreilles indiscrètes.
La Légendaire referma la porte derrière la Reshiram et son Arcanin. Ils prenaient tous les deux beaucoup de place, dis donc. Mais ils étaient cachés, à l'abri de l'autre monde, dans cette pièce obscure, à peine éclairer par les écrans qui composaient le mur.
- Je veux... Je veux des livres. Ceux qui sont censurés et gardés par Arceus. Ceux qui raconte l'histoire de ce monde, des antiquités.
La curiosité lui faisait toujours défaut. Mais elle avait oublié ce qui avait été si important pour elle. Et elle voulait... Mieux comprendre leur monde, grâce à ce passé. Pour mieux le reconstruire ? La brunette évita d'expliquer toutes ses intentions à la ... Juge ? Moins elle en savait, mieux elle se porterait.
- Je peux déjà regrouper ce que je trouve sur... Zekrom. Les trucs louches, c'est ça ? Mais s'il disparaît des écrans, ça ne signifie pas qu'il veut... Qu'il est méchant.
Si ça avait été elle, si, c'était clairement un signe de rébellion. Mais ce n'était pas elle. Car elle était là, dans son monde parallèle.
Tu entres, tu obéis sagement. Au final, c'est un peu ta raison d'être, obéir dans la limite du possible, obéir et suivre les directives. Tu n'es pas vraiment imprévisible ou du moins tu n'as jamais découvert ce trait de ta personnalité. Et, finalement, elle te révèle ce qu'elle veut. Des livres. Ceux interdits, ceux que personne ne lit, ceux qui sont consignés, surveillés comme source de connaissance pouvant entraîner le chaos. Tu cilles, tu te frustres un peu, tu tritures tes mains. Ça te gêne, tu n'auras pas de mal à récupérer ces livres, même officiellement - puisque tu te refuses à l'idée d'aller les récupérer en catimini - tu n'es pas le genre de personne qu'on peut soupçonner de passer dans le clan adverse, même avec tous les indices, toutes les preuves, tous les livres du monde.
« Je ... Je te trouverai ça. » Elle soulignait que Zekrom n'était pas forcément un mauvais bougre mais tu restais sceptique. Tu n'arrivais pas à comprendre ce qu'il pouvait bien te trouver, pour insister ainsi, pour faire tant de forcing. Toi, tu voulais juste continuer à vivre en paix, continuer à faire ton travail. Bon, peut-être aussi que tu voulais savoir ce qui était arrivé au précédent Zekrom, tu voulais savoir si Altaïr avait bel et bien... Écarté l'élément gênant de son plan. Tu avais peur de devenir cet élément gênant. Sauf que voilà. Altaïr avait quelque chose de tellement bizarre, de ... d'attirant. Il fallait que tu l'admettes, c'était clairement ça qui te gênant, c'était... Il te mettait mal à l'aise parce que tu ne pouvais pas contrôler le flux de choses nouvelles qui pointaient, qui naissaient, tout droit tournées vers lui.
« Après réflexion ... Je ne veux rien savoir. » Tu souffles, encore plus gênée qu'en arrivant pour supplier des renseignement. Cette fois tu jettes un regard bref à son Noctunoir, puis à ton Arcanin, avant de fixer tes chaussures, de triturer nerveusement ton poignet pucé. « Je t'apporterai les livres dans quelques jours. » Elle allait croire que tu achetais son silence, mais peut-être que les quelques instants que tu avais passé avec Altaïr ne faisait que souligner à quel point tu étais seule, à quel point tu n'avais pas d'amis. « Désolée de t'avoir dérangée... » Tu souris un peu nerveusement, timidement, avant de reculer contre la porte, jetant finalement un regard à Tina. Elle doit te prendre pour une extraterrestre mais tu as bien trop peur de ce que tu pourrais apprendre.
Ainsi, Reshiram pouvait douter. Tina se demandait bien à ce à quoi l'autre jeune femme pensait. Si elle pouvait voir, écouter, être spectatrice de la vie des autres, elle ne pouvait entrer dans leur pensée. Et ça la dérangeait. Déstabilisait. À chaque fois qu'elle rencontrait quelqu'un, c'est comme si elle percevait une barrière infranchissable. Celle de la pensée. Elle avait beau tout savoir sur une personne, connaître ses habitudes, ses manies, ses proches, sa vie, elle ne savait jamais qui ils étaient vraiment. Ce qu'ils cachaient. Ils ne montraient pas toujours leur vrai visage face aux caméras. Des choses pouvaient être bien cachées au fond de leur cerveau. C'était sûrement cela qui déconcertait la brunette à chacune de ces rencontres. Pourquoi n'étaient-ils pas exactement pareils que sur ses écrans ? Pourquoi découvrait-elle des nouvelles personnes en les voyant ainsi, dans leur réalité ? Pourquoi était-elle ignorante à ce point ?
Giratina avait soif de connaissance à force d'être enfermée ici, coupée du vrai monde.
Mais la juge changea d'avis. Elle ne voulait plus rien savoir. Plus rien. Alors que... Que... Qu'elle se trouvait face à la paria. Celle qui apportait des connaissances. Et, bizarrement, Tina fut vexée. Elle avait invité l'autre dans son monde et finalement... Rien ? Bien sûr, elle gagnait des livres. C'était déjà ça. Mais elle était venue faire tout un bazar pour ne rien récolter au final ?
À moins qu'elle surveillait Tina. Et qu'elle savait à présent qu'elle essayait de transgresser les règles. Reshiram était toujours sous l'aile d'Arceus, elle aurait dû s'en douter. Elle aurait dû se méfier. Elle fit un signe à Sumerki de bloquer la porte.
- ... Tu es sûre que tu ne veux rien savoir ? Ou tu es juste venue pour m'espionner ? N'oublie pa-pas que je sais tou-tout de toi. Tes moindres erreurs sont enregistrés ici. To-tout comme celles de Zekrom. Ou de n'importe quel membre de la Secte. Je peux faire tom-tomber tout le monde de leur piédestal en un claquement de doigts. Même toi, la plus parfaite...
Et après, on s'étonnait que Tina n'avait pas vraiment d'amis, avec un tel comportement. Bon, elle n'était pas très convaincante, en tremblant et butant sur les mots, mais l'émotion était là, dans sa voix. La colère. La peur. Un mélange de folie, de paranoïa des plus absurdes.
En réalité, tu pourrais presque sentir à quel moment exact les choses basculent. Tu pourrais presque sentir cette vibration dans l'air, cette façon que la réalité a de soudainement te trahir, toi, son incarnation. Tu te sens si peu Reshiram à cette instant, tu te sens si humaine, si incapable, si impuissante. Et, plus terrible que tout, tu te sens terriblement mortelle lorsque le Nocturnoir se met entre toi et la porte, tu avales ta salive et tu pries. Tu pries pour en sortir indemne, toi qui n'avait rien prévu de lui faire, et surtout pas de la trahir. Alors tu jettes un regard à Baal, il se penche légèrement, en position d'attaque. Tu sais ce qu'il te reste à faire. Non, tu ne vas pas l'attaquer, tu vas simplement reprendre ton aplomb, ton calme. Tu vas redevenir l'immortelle, la juge, tu vas redevenir Reshiram. Et, finalement tu te redresses, intiment tu continue à prier, intiment tu continues à espérer que quelqu'un vienne t'aider, mais qui pourrait faire ça ? Au fond, tu ne connais personne qui pourrait te suivre, personne qui pourrait te trouver là. A part Altaïr, peut-être, mais c'est sans doute la dernière chose que tu souhaites, qu'il te trouve. Surtout pas.
Tina butait sur les mots, et ça aurait dû te rassurer, te faire reprendre confiance en toi. Mais c'était à demi le cas. En fait, avec son air nerveux, elle te mettait encore plus mal à l'aise, comme si elle avait été à deux doigts d'exploser, comme si elle était totalement instable. Et tu fais un pas vers elle, un pas vers la brune, fronçant les sourcils en la dévisageant. Tu veux la mettre encore plus mal à l'aise, tu veux la faire rompre. « J'ai simplement changé d'avis, Tina. Je découvrirais en temps et en heures ce que je dois découvrir. » Tu serres un peu les poings, essayant d'oublier qu'il y a cette chose spectrale dans ton dos qui s'amuserait bien à te voler ton âme ou un peu tout le reste, et tu plonges ton regard dans celui de la brune, la dévisageant d'un peu plus près. « Maintenant, laisse moi partir Tina. Je ne cherche pas à te surveiller, je te rends simplement un service en t'apportant les livres. » A charge de revanche, tu penses, mais tu ne soulignes pas. Te laisser sortir en vie serait déjà génial.
Ici, dans cet endroit, Tina se sentait puissante. Enfin, plus que dans l'autre monde. Plus que nulle part. Elle était avantagée, elle savait comment les effrayer, les éloigner d'elle. Les autres. C'est pour ça qu'elle était seule. Que personne ne pouvait l'aimer. Que personne ne souhaitait l'aimer. Ils avaient peur. Elle n'était qu'une source d'informations, comme toujours. Elle n'était plus de leur monde, plus maintenant. Six ans enfermée, six ans perdus, six années irrattrapables de sa vie, six années de solitude. Elle ne comprenait leur vie, leur monde qu'à travers des écrans. Dès qu'elle était impliquée, ça coinçait. Ça semblait irréel. Parler devenait quelque chose d'étrange pour elle. À ce moment, Giratina se sentait si forte et si faible à la fois. Elle avait peur des autres. Elle ne les aimaient pas parce qu'ils l'avaient exclu. Elle préférait son monde. Cependant elle voulait tout savoir, tout comprendre. Même leur monde. Sa curiosité était plus forte que tout. Elle avait peur de cette Reshiram, cette Alecto, qui devait avoir la vie de chaque personne normale. Sa vie d'antan. Celle qu'elle avait perdu en se mesurant à Arceus.
La brunette observa l'autre jeune femme qui lui expliqua que non, finalement elle ne voulait plus d'informations. Non, elle voulait juste partir. Non, elle voulait juste lui donner des livres. Elle lui rendait un service. Mais contre quoi ? Ses yeux foncés scrutaient la juge, chacun de ses détails qu'elle pouvait observer dans cette obscurité. Le doute restait encore dans sa tête. Elle ne savait que faire.
- ... Je te surveillerai.
Elle soupira et fit un signe à Sumerki de débloquer la porte. Le Noctunoir observa sa dresseuse, étonné. Elle changeait si rapidement de comportement parfois.
- Pars. Pars comme tous les autres qui viennent juste pour mon boulot. Va-t-en, je sais que personne n'aime être ici. Avec moi. Tu ne fais pas exception à la règle, je suppose.
C'était tellement ironique d'être juge et de se sentir atrocement jugée. C'était d'autant plus ironique que du moment où Tina accepta de te libérer, alors tu fus un peu plus motivée à rester. Elle était si seule, ça se lisait au fond de ses yeux, comme une évidence. Lire dans les gens n'avait jamais été très difficile pour toi, tant qu'il s'agissait d'émotions simples, marquées, et qui ne te concernaient surtout pas. Oui, dès qu'on voit en toi l'humaine, au delà de la juge, au delà du légendaire, alors tu perds tes moyens. C'est sans doute pour cela que tu fuis à tout prix les relations humaines. Parce qu'au fond... Tu as peur qu'on puisse t'approcher. Tu as peur qu'on puisse t'apprécier. Tu as peur qu'on puisse dépendre de toi. Toi, l'intouchable, toi, l'inaccessible, toi, la dure réalité. Et elle te regarde comme si elle voulait te retenir, combler un peu ce vide qui vous terrifient tous, combler cette peur panique de se retrouver seule, à nouveau, avec ses pensées, ses craintes, ses cauchemars, ses souvenirs. Comment est-ce qu'on peut vivre enfermée dans cette pièce ? Tu ne t'étais jamais posé la question mais aujourd'hui que tu la vois, de plus près, peut-être que la question te traverse l'esprit, le bouscule, le dérange. C'est inhumain. Elle est inhumaine aussi, non ? Tu devrais ressentir du mépris pour cette traitresse, et pourtant tu nourris ce feu qui l'animait autrefois. C'est peut-être toi le monstre Alecto. « Tu voudrais sortir, un peu ? » Tu entrouvres la porte derrière toi, près à sortir et prendre la fuite si toute fois ça s'éloigne trop de l'impersonnelle rencontre de deux quasi inconnues. Elle qui sait tout de tes habitudes mais rien de toi, de ce que tu penses, et toi qui pense l'avoir décrypter quand bien même tu ne sais rien. « Je veux dire, je pourrais te guider. » C'est risqué, ça l'est trop. Elle est si méfiante, elle pensera que c'est un piège, c'est ce que tu penserais à sa place, tu en viens même à t'interroger : n'est-ce pas vraiment un piège ? Non, non tu n'oserais pas. Elle t'éliminerait. Non ? Peut-être. Elle doit connaître des gens qui le feraient. Tout vous oppose et pourtant, c'est idiot mais tu tends la main vers elle, aussi figurativement que littéralement. Peut-être que tu t'y prends mal, que c'est à toi d'entrer, pas à elle de sortir mais...
Des frissons parcouraient sa peau, ses poils se hérissaient. Son Noctunoir, tel son prince charmant, se rapprocha d'elle, inquiet. Sumerki n'appréciait pas la présence d'autres humains dans cette pièce. Les autres, ceux qui avaient infligé tant de peine à Tina, ceux qui mériteraient de mourir ne devrait pas venir ici, pour la déstabiliser encore plus. La brunette n'était plus qu'une poupée. Fragile, elle se cassait facilement. Elle ne réagissait plus normalement. Elle était une humaine brisée, détruite. Elle avait beau essayé d'être normale, quelque chose la rendait étrange. Son regard fou, ses tremblements, sa sensibilité à la lumière, le chaos qui régnait dans sa tête et dans sa pièce. Elle était juste bonne à être un robot, à obéir aux ordres. Mais les fissures du passé ne se comblaient pas aussi facilement... Giratina voulait la vérité, toujours, et Tina s'y pliait. Elle ne se posait jamais la question de la normalité. Pouvait-elle vivre comme tous les autres après cela ? Rien que vivre, c'était compliqué. Si compliqué... Elle pleurait presque, cette petite poupée briser, avec laquelle on jouait, sans se soucier de ce qu'elle pensait. Alors que c'était elle qui aurait dû être l'enfant qui jouait avec cette poupée. Si seulement cela c'était passé différemment. Et puis cette Alecto lui tend la main. Si elle voulait sortir ? Bien sûr. Si elle pouvait sortir, ce n'en était pas si sûr. Tina hésita. Pourquoi elle ? Pourquoi Reshiram ? Une nouvelle tentative d'usurpation...? Non non non. Non. C'était trop risqué pour celle qui représentait la Réalité.
- Les gens vont croire que tu es avec moi. Tu veux pas finir comme moi.
Elle tranchait le noir avec ses mots. Elle rêvait de pouvoir prendre cette main. De sortir de cette folie. Mais Tina savait que le monde était aussi noir dehors que dans son antre.
- Je serai à jamais une paria. Tu ne peux rien faire contre cela... C'est ma Réalité.
Tu ne comprenais pas, tu ne comprenais pas qu'elle puisse à ce point te fasciner, au point de t'attirer dans son antre, et pourtant tu savais qu'une fois que tu aurais mis le pied trop loin, il serait impossible de faire demi tour. Peut-être que c'était juste un piège, peut-être qu'Arceus en personne cherchait à te faire choir de ta place de juge impitoyable, inaccessible. Ou peut-être que tu virais paranoïaque. Peut-être que ce n'était qu'un appel à l'aide. Qu'elle aurait voulu un peu d'attention, une attention que ni toi ni personne n'aurait pu lui accorder, après tout. Elle était Giratina, pas un Eon, pas un gentil petit Lutin, aimé de tous. Non, elle avait une majorité d'ennemis, et vous n'étiez pas faites pour vous entendre, même pas faites pour vous rencontrer. Et pourtant, tu étais là, devant elle. Tu lui parlais, tu la regardais, tu respirais son parfum autant que tu buvais ses paroles. Tina, l'ombre et les yeux de ce monde. Certainement le danger le plus grand, le plus palpable pour toi, et pourtant. « Tu veux pas finir comme moi. » Tu souris, parce qu'au fond tu sais que toi, ça ne finira pas comme ça. Que toi, tu n'auras pas la "chance" de t'en sortir. Tu ne te berce pas d'illusions, Alecto, loin de là. « Je finirais plutôt morte qu'enfermée. » Tu repenses aux mots d'Altaïr, de cette étrange motivation à changer le monde, de cette façon qu'il a de t'attirer, dangereusement, et tu penses à comment tu en viens à te poser des questions sur la vie, sur ta place, sur tout dans ce foutu univers qui ne tourne pas rond. Alors tu en viens à l'idée que oui, si ça doit finir, ça finira mal. Et tu n'es pas idiote, tu n'es pas naïve. « Tu ne peux rien faire contre cela... C'est ma Réalité. » Ton sourire est triste cette fois. Au fond, elle a sans doute raison. Toi, tu ne peux rien y faire. Tu es la réalité, et la réalité est dure, elle est mauvaise. Elle est peut-être sincère, franche, palpable, mais la réalité ne fait pas rêver. Elle ne permet de s'évader. Et des fois, tu l'envies, cet être porteur d'espoir, celui qui soulage un peu les coeurs et les esprits. « Dans ce cas... » Tu commences, un peu hésitante alors que Baal se frotte à toi, comme s'il était terrifié à l'idée que tu puisses prendre froid. « Peut-être que... Peut-être que tu devrais te tourner vers ton Idéal. » Tu souris, en baissant les yeux, parce qu'au fond, ce que tu dis pour elle, c'est aussi atrocement valable pour toi. Et pendant un instant, tu aimerais simplement fuir, simplement couper court à cette discussion qui n'a pas de sens, qui ne fera que finir mal mais... Elle te ramène à lui. Elle te ramène à cet espoir cruel d'être quelqu'un d'autre. De n'être plus la juge, de n'être plus la pupille d'Arceus mais simplement une jeune femme pleine de rêves, d'ambitions, une jeune femme libre.
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